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Un dojo, un logo

par Alban publié le 29.03.20

Question que certains se posent — d'autres pas — mais qui revient assez régulièrement. Ce sont notamment les nouveaux au sein du Dojo qui s'interrogent : « Il représente quoi le logo du club ? Et ça veut dire quoi cet élément rouge ? ». Il se trouve qu'en ce moment, nous avons un peu de temps devant nous… autant le mettre à profit ! Du coup, je décide de répondre à la question que tout le monde ne se pose pas en expliquant le « pourquoi du comment » de ce logo.



D'abord, un logo c'est quoi ?

Un logotype — ou logo — est un signe graphique et/ou typographique représentant une marque, un produit, un événement ou un organisme. Il fait partie de ce que l'on nomme globalement le design de marque. Sans en retracer l'histoire complète, nous pouvons dire que, si la révolution industrielle du XIXe siècle ainsi que l'avènement de la société de consommation du XXe lui donneront ses atours modernes, l'origine du logo plonge bien plus loin dans l'Histoire des sociétés humaines. Pensons notamment à l'héraldique ou aux blasons utilisés par les guildes et les corporations à l'époque médiévale. Si nous remontions davantage le temps, nous en trouverions ses prémices dans l'utilisation des symboles de l'antiquité, de la protohistoire et même de la préhistoire.

Mais si nous revenons à des temps qui nous concernent davantage, retenons qu'un logotype doit identifier de manière singulière l'organisme qu’il représente à l’aide de signes graphiques, porteurs de ses valeurs et de son identité. Vaste programme… Décryptons donc celui du Shoshin Dojo.

 

Armoirial de Zurich vers 1330-45

Armorial de Zurich (parchemin vers 1330-45) : un document exceptionnel de l'héraldique médiévale.


La forme d'un « mon »

Le « mon » est le terme générique utilisé pour faire référence à l’ensemble des symboles héraldiques japonais. On lui préfère les termes de « mondokoro » et de « kamon » lorsque l’on fait référence aux armoiries d’un clan ou d’une famille. Il semble que l’usage de « mon » ait fait son apparition au Japon dès l'époque Nara (710-794) au sein de la classe aristocratique et de la cour impériale. Il était alors arboré sur les vêtements des personnes de haut rang. Au XIIe siècle son usage s’étendit et le « mon » vint à être utilisé comme élément distinctif mais aussi de reconnaissance sur les bannières, tentes, armes… lors de conflits. Rapidement le « mon » fut utilisé par des couches sociales plus modestes mais aussi par tout un ensemble d’organisations (temples, organisations criminelles, commerçants…). Les personnes n’ayant pas de « mon » propre portaient souvent le « mon » du clan, de la famille, de l’organisation ou de la personne qu’ils servaient.

mon de clans japonais

Toi aussi sauras-tu retrouver le logo du Shoshin au milieu de ces « mon » japonais ?

Ces symboles ne suivaient aucune règle particulière. La plupart du temps ils étaient monochromes, composés d’un cercle contenant une représentation stylisée d’un animal, d’un végétal, d’un élément naturel, d’un motif géométrique, d’un symbole religieux ou encore d’un kanji. Tout objet ou chose pouvait, en soit, y être intégré. Certains éléments étaient cependant réservés à certains hauts dignitaires (la fleur de chrysanthème réservée à la famille impériale par exemple).

Pour rappeler l'origine japonaise de nos disciplines martiales, notre souhaitions que notre logo reprenne les codes des « mon ». La forme circulaire et le travail sur des éléments géométriques devaient donc être la base de réflexion pour l'élaborer.

 


Deuxième étape :
ça veut dire quoi « shoshin » ?

Alors là, je vous renvoie à un article que nous avions publié et qui traite exclusivement de cette question. Mais retenons simplement que l'on peut traduire ce terme par « esprit du débutant ». Disons qu'il s'agit d'une disposition d'esprit qui consiste à ne rien tenir pour acquis et à garder un esprit vierge de tout présupposé et de toute certitude.

Cette humilité doit permettre au pratiquant de reconsidérer son travail en remettant sans cesse l'ouvrage sur le métier. C'est donc une qualité essentielle pour pouvoir progresser en aïkido, en kenjutsu ou comme dans n'importe quel domaine. Si nous avons retenu ce nom, c'est bien évidemment parce que nous voulons faire de « shoshin » une vertu cardinale de notre Dojo.

 La spirale du logo rappelle donc ainsi cet éternel recommencement qui doit être au cœur de notre étude martiale.

 

archers traditionnels au Japon

« Le doute est un état mental désagréable, mais la certitude est ridicule. » (Voltaire)


Exprimer le mouvement

Les formes du logo s'imbriquent et s'unissent dans une spirale. On peut voir ici une allusion assez évidente à la forme du Yin-Yang — « In-Yō » en Japonais — issue du taoïsme. Sans entrer dans des considérations ésotériques ou philosophico-spirituelles (chacun son métier), il est évident que cette pensée d'origine chinoise a essaimé ses principes dans tout l'Orient et a considérablement influencer les pensées orientales, Japon compris. Les bujutsu sont devenus des budo en partie parce que cette pensée a pénétré le monde des arts martiaux japonais. De fait, presque tous sont empreints de taoïsme et l'aïkido ne fait pas exception. Je vous laisse comparer un extrait du Tao-te-king et un aphorisme d'Ō Sensei.

 

« Le Tao est vide ; si l’on en fait usage, il paraît inépuisable. »

— Extrait du Livre 1 du Tao-te-king

« L’Art de la Paix, c’est de remplir ce qui est vide. »

Ō Sensei Morihei Ueshiba

 

aïkido tenchinage

La chute surpassée : uke s'enroule autour d'un axe comme une spirale

Mais la spirale,  c'est aussi la forme géométrique qui est à la base de nombreux mouvement d'aïkido. Pensez à irimi nage, à certaines formes de kote gaeshi, à quasiment toutes les formes ura, et de manière générale à tous les mouvements dans lesquels nous utilisons le déplacement irimi-tenkan. Cette façon si particulière d'aller à la rencontre du partenaire, de joindre notre axe au sien et de tourner autour de ce pivot.

La spirale rappelle donc ces deux éléments. C'est à la fois une évocation des valeurs morales et spirituelles de l'aïkido et des budo ; tout autant que la représentation de la dimension physique de l'engagement du corps dans la discipline martiale.

 

entraînement de sumo au Japon

Le cercle, présent dans bien des mouvements martiaux, est ici le dohyō qui délimite la surface de lutte du sumo


Un peu de typo pour la stabilité et la sérénité

L'aïkido et le kenjutsu sont des « budos » et, in fine, la pratique de ces arts martiaux doit permettre aux pratiquants de devenir des individus équilibrés, ajustés et en harmonie avec leur environnement. Donc, s'il était important de rendre compte du mouvement, il était aussi primordial que le logo exprime la stabilité et la sérénité. Encore une fois, une qualité physique (la stabilité) et un état mental (la sérénité). Nous avons essayé de rendre ces deux aspects au travers de nos choix typographiques. Nous avons sélectionné une police de caractère classique, aux lignes épurées et avec des perpendiculaires très affirmées — même les « 0 » en sont pourvus.

Ce choix typographique s'avère déterminant puisque c'est lui qui porte le nom du Dojo. Bien qu'assez classique, la « Bebas Neue » — c'est son nom — est une police qui ne manque pas de caractère (ah ah !) et qui donne un aspect soigné au travail graphique tout en conférant  une bonne assise au logo.

 

aikidoka en seiza

Sérénité et quiétude : le préalable pour toute action ajustée


L'articulation de l'un et du multiple

Nous sommes une association. Un collectif d'individus réunis autour d'un projet commun. Chacun d'entre nous nourrit le collectif ; le collectif nourrit chacun d'entre nous. Les élèves apprennent les uns des autres ; les enseignants assurent la direction technique et continuent d'apprendre les uns des autres. Les élèves progressent grâce aux enseignants et ceux-ci apprennent en enseignant. C'est cette articulation et cette interdépendance que nous voulions aussi symboliser. C'est pourquoi les éléments graphiques sont imbriqués, mais qu'aussi, l'un d'entre eux se distingue. Il représente l'individu qui participe au mouvement collectif mais qui ne s'efface pas dans le groupe. Il continue d'exister légitimement sans devoir s'abandonner au bénéfice du groupe.

C'est aussi une manière de signifier que différentes formes d'expression de l'aïki peuvent exister au sein de notre Dojo. Car même si nos enseignants travaillent sur une base commune, ils expriment l'aïki chacun à leur manière. Et dans l'idéal, avec leur aide, chaque élève devrait pouvoir construire un aïki qui lui soit propre.

 

cibles de kyudo


Vous savez maintenant tout ou presque de ce logo. J'aurais pu aussi vu dire qu'il a vu le jour au cours du nuit sans sommeil et qu'il s'est imposé comme une évidence auprès des membres du Dojo qui l'ont adopté dès la première présentation. Cela fait maintenant quelques années que nous l'utilisons et, pour ma part, je ne m'en suis pas encore lassé. À la fois simple, facilement reconnaissable, assez intemporel et — j'espère en avoir fait la démonstration — chargé de sens, serait-ce donc un bon logo ?