Hélène Doué : de retour du Japon
En juin dernier, une petite troupe du Shoshin Dojo s'est rendue à Éloise en Savoie pour participer à un stage d'aikido animé par Hélène Doué. Comme d'habitude avec Hélène, c'était un stage riche, convivial, dynamique et motivant et ce, bien qu'Hélène était encore un peu — beaucoup — jetlaguée. En effet, elle rentrait alors tout juste de Tokyo et de la All Japan Aikido Embukai. Abusant de sa générosité, nous avons profité d'un court moment après le stage pour lui poser quelques questions sur cet évènement. Nous étions curieux d'en apprendre un plus sur cette 60ème édition un peu spéciale et pour laquelle elle a préparé pendant près de deux ans les 5 jeunes aikidokas français qui ont représenté la FFAAA, notre fédération.
Bonjour Hélène. Est-ce que tu pourrais te présenter ?
Oui. Alors, je suis Hélène Doué , 6ème Dan aujourd’hui, DFR de la région Normadie et membre du Collège Technique National. J’ai un club à Paris 13ème où je donne des cours aux enfants, aux étudiants, à des adultes et plus si infinités. (rires)
Qu’est-ce que c’est que l’IAF et en quoi ça consiste ?
Alors l’IAF c’est la Fédération Internationale d’Aïkido qui rassemble des fédérations internationales en lien avec le Hombu Dojo, donc la maison mère de l'aikido située au Japon.
Et quel est ton rôle au sein de l’IAF ?
Je fais partie d’un groupe de travail qui réfléchit à la thématique des jeunes adultes 18-25 ans et donc on est amenés à organiser des choses, des évènements autour de cette thématique.
Comment as-tu été nommée ?
C’est le président actuel de l’IAF, Wilko Vriesman, qui a proposé à moi, à Dimitri Crenier de Belgique ainsi qu’à Ricardo Toro du Chili, de faire partie de ce groupe de réflexion étant des jeunes 6ème Dan encore pas trop vieux (rires d'Élise) qui pourraient avoir des idées et qui pourraient également avoir des jeunes dans leurs clubs respectifs pour faire partie de ce groupe de réflexion à l’international.
Pourquoi avoir choisi principalement des jeunes pratiquants et qu’est-ce que tu en penses ?
Alors l’idée était que pour cette 60ème édition de la All Japan Aikido Embukai, il y ait des jeunes japonais qui puissent démontrer et non pas que des senseis d’un certain âge. Et l’IAF a souhaité qu’il y ait aussi des jeunes issus de l’international qui puissent participer à cette démonstration. Donc c’est pour ça qu’il y a eu la Belgique, le Chili et la France pour cette occasion. Cet évènement là ayant marché, l’idée serait qu’à termes, il y ait d’autres pays qui puissent participer, avec à nouveau des groupes de jeunes. Pourquoi cette tranche d’âge ? Et bien dans l’idée de montrer les nouvelles générations, qui sont aujourd’hui des nouvelles générations de pratiquants. Ce ne sont pas des jeunes qui ont des clubs ou qui enseignent. Mais ce sont les futurs enseignants. C’est de montrer cette tranche d’âge, qu’elle existe, qu’elle est présente, qu’elle est dynamique, enthousiaste, qu’elle est là pour le futur de l’aikido et qu’elle est là pour prendre l’étape d’après. Parce qu'aujourd’hui, on a des très jeunes, on a une population qui est un peu vieillissante, mais on n'a pas cette tranche d’âge. Et spécifiquement au niveau fédéral français, c’est les pratiquants qui nous manquent sur les tatamis.
Donc, la fédération internationale a montré que cette tranche d’âge existe, qu'elle est intéressée, motivée, qu'elle a un bon niveau technique et qu'elle est capable de montrer des choses. C'est une très bonne initiative… On espère ainsi donner envie à la génération 18-25 de pratiquer.
Comment est-ce que les jeunes français ont été sélectionnés ?
Alors, pour la France ça n’a pas été compliqué. Il y avait donc le critère général : des 18-25 ans avec un niveau 1er ou 2ème Dan, pour que, justement, il n’y ait pas un trop haut niveau non plus, que ça ne soit pas des gens qui soient déjà en train d’enseigner, mais des pratiquants, tout simplement. Des pratiquants enthousiastes avec un souci de mixité et pour la France ça c’est fait tout simplement autour de l’Île-de-France. On a choisi des régions proches donc les Hauts-de-France, la Normandie et l’Île-de-France puisque l’idée était que ces jeunes s’entraînent une fois par mois dans mon Dojo. Il fallait centraliser pour éviter un coût énorme et une logistique trop compliquée. Cette première occurrence s’est faite autour de l’Île-de-France — et autour de moi — mais si l'évènement est amené à se reproduire, le recrutement pourra se faire au niveau national, sur d’autres régions avec pourquoi pas les Dom-Tom. Il faudra aussi réfléchir au financement, aux subventions possibles… Parce que ça avait quand même un coût cette histoire là. Donc l’idée pour la première, c’était de réduire un peu les coûts, d’avoir une logistique qui soit pratique. Et moi, j’ai simplement contacté les présidents des Ligues pour qu’ils me proposent des jeunes qui semblaient correspondre aux critères.
Tu parles de coûts, c’est l’IAF qui a pris en charge tout l’évènement pour les jeunes ?
Alors non. En fait les billets d’avion ont été en partie financés par la FFAAA, les coûts d’hôtels ont été financés par les Ligues, les frais de repas ont été financés par les jeunes eux-mêmes — sachant que les repas au Japon c’est pas ce qu’il y a de plus cher —. Et l’IAF a participé aussi à une partie du financement des billets d’avion — notamment pour moi — pour l’hôtel également. L’IAF a eut sa part de subvention aussi.
Comment est-ce qu’ils se sont préparés ?
Donc ces pauvres chouchous, ils ont dû attendre 2 ans parce que il y a eu le Covid. Après, il y a eu les restrictions sanitaires et le Japon a rouvert très tardivement ses frontières… Donc ils ont su il y a 2 ans qu'ils allaient faire partie du projet. Ils se sont entraînés une fois par mois en venant à mon dojo, pour se rencontrer, travailler ensemble, avoir l’habitude de chuter ensemble, de se sentir corporellement, de se connaître personnellement aussi. Ensuite… comme ça a été repoussé plein de fois… et bien on a eu des hauts et des bas mais on a pu participer tous ensemble à un évènement organisé par la Corée qui s’appelait les Online World Martial Arts Masterships (Élise: « Oh yeeeeaaaaah »).
C’était un évènement complètement digital qui réunissait un certain nombre d’arts martiaux, avec des compétitions et sans compétition. L’aikido a participé en tant que discipline non compétitive et donc, les délégations de Belgique, de France et du Chili qui devaient aller à la All Japan y ont participé. Il y a eu aussi d’autres pays présents, notamment d’Asie. C’est trouvable en ligne (cliquez ici). Enfin, ça a permis aux jeunes de se former aux exigences de la démonstration. Comme c’était en ligne, il y avait un format vidéo, il y avait un format de minutage, il y avait un cadrage, il y avait les saluts… Tout était très réglé. Ça les a donc mis en condition pour la All Japan. C'était en live pour le coup mais au niveau de l’étiquette, de l’organisation, du timing, du contenu de la démonstration, de la vitesse d’exécution, des réglages des chutes, des replacements… enfin beaucoup de choses ont pu être travaillées à cette occasion. Donc ça a été très bénéfique à la fois pour la cohésion d’équipe, mais aussi pour avancer très précisément dans le travail de préparation.
On avait vraiment un cahier des charges assez lourd à respecter, donc cette expérience en Corée leur a vraiment demandé un truc millimétré et ça les a mis en condition pour la All Japan.
Ce qui est très intéressant, c’est que moi j’avais cadré une fois par mois lors de nos rencontres mais eux, spontanément, se sont retrouvés en stages, dans d’autres clubs, dans des interclubs… Ils ont fait le voyage, il y en a une qui est au Japon pour ses études et elle est allé s’entraîner dans un club là-bas. Une autre est en Belgique, elle a fait des allers-retours pour faire les stages de Christian Tissier, pour participer à mes stages. Finalement, ils se sont retrouvés en dehors de nos rendez-vous mensuels. Ils ont trouvé eux-mêmes des solutions pour se retrouver et pratiquer ensemble à d’autres occasion. Ils ont été très impliqués et, une fois au Japon, ils ont fait tous les entraînements proposés par le Hombu Dojo. Donc c’est 4 à 5 entraînements par jour. On s’est entraîné dans les jardins parce qu'on avait pas de lieu dédié. On a donc travaillé dans les grands parcs de Tokyo. Même à l'hôtel, ils ont continué à mouliner quand ils avaient des temps de pause. Voilà, ils ont continué à réfléchir à leur programme et ils ont découvert la salle le jour J. Ils n'ont pas pu prendre leurs marques sur place parce que c’était interdit de monter sur le tatami avant la démonstration. Donc ils ont découvert l’ampleur de la salle, le tatami, le dojo, le monde — il y avait 8 000 spectateurs — tout d’un seul coup. Voilà.
Ils ont donc eu une préparation intense qui a été très régulière avec des moments très rythmés et une densité sur la semaine précédant la démonstration.
Est-ce que tu as pu remarquer des différences notoires avec les autres délégations ?
Alors, j’ai du mal à noter une grande différence. Je pense que tout le monde s’est préparé très sérieusement. Ce que je peux dire, c’est que pour la France, les jeunes ont été très solidaires, très enthousiastes. Ils ont eut une espèce d’esprit d’équipe qui a été très très fort et je pense qu’ils en ressortiront avec des liens d’amitié qui vont être très forts parce qu'ils ont eut une communion on va dire… C'est plus qu’une communication. Une communion qui a été vraiment au-delà d’une préparation physique ou d’une préparation de démonstration. Il y a quelque chose de l’ordre de la communauté qui s’est vraiment instauré. Dans l’équipe Belge, un des jeunes s’est gentiment prêté au jeu de la démonstration. Venu au départ juste en accompagnateur, il a bien voulu servir de uke pour compléter les binômes, notre équipe ne comprenant finalement que cinq personnes. L’équipe chilienne, c’était encore différent parce qu’ils n'étaient que deux à démontrer, et l'un d'eux est gravement malade… En fait c’était son unique et dernier voyage au Japon donc il y avait une espèce d’intensité chez eux. Voilà, il a tout donné. Il y avait quelque chose de l’ordre de la vie et la mort, on peut le dire comme ça puisque c’est vraiment vrai. Il y avait donc quelque chose d’émotionnel qui était très fort chez les chiliens.
Mais en tout cas,en ce qui concerne l’équipe de France, ils en ressortent avec une vraie cohésion qui va certainement perdurer au-delà de la All Japan.
À tel point que je peux vous dire qu’il y a une cagnotte qui a été proposé par la Ligue FFAAA des Hauts de France. Le but était d'aider ceux d'entre eux qui avaient le moins de moyens à financer le projet. Au début ils ont réfléchi à partager la somme pour couvrir leur budget et finalement ils ont décidé de mettre cette somme en commun pour leur groupe. À l’avenir, s'ils ont envie de faire des stages, ils piocheront dans cette cagnotte commune pour refaire des choses ensemble. Je trouve que c’est vraiment une image forte, c’est quelque chose d’important au-delà de l’évènement.
Combien de temps a duré le séjour et comment s'est-il déroulé ?
Alors comme je l’ai dit précédemment, c'était un séjour d'une semaine. Avant le jour J, on a participé à presque tous les cours du Hombu Dojo. Le premier est à 6h30, le suivant à 8h. L'après-midi, ça reprend à15h, un autre a 17h30 et enfin le dernier à 19h. Donc les journées ont été très clairement rythmées : l’entraînement, laver des kimonos, sécher des kimonos, aller dans les parcs pour réviser la démonstration, manger, dormir peu… et puis voilà avec des petites choses à droite à gauche mais globalement la semaine a été dédiée à la pratique et à la préparation de la démonstration.
Nous avons eu un entretien avec le Dojocho, Mitsuteru Ueshiba. Une rencontre très intéressante et très sincère durant laquelle il a présenté sa vision de l'aikido, de l'entraînement, de la transmission auprès des jeunes… Il a insisté sur l'intérêt des réseaux sociaux pour le développement de l'aikido. Il invite les Dojos à montrer leur pratique de clubs. C'est cette image qui, selon lui, fera connaître l'aikido et contribuera à donner envie de rejoindre les Dojos. Une rencontre très intéressante !
Et bien, je te remercie beaucoup pour le temps que tu nous as accordé.
Mais avec grand plaisir. Merci à toi.
Pour en savoir plus sur la All Japan Aikido Embukai 2023, vous pouvez lire l'article publié sur le site de la FFAAA en cliquant ici.