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Conte #9
« Un enseignement accéléré »

par Shoshin Dojo publié le 21.05.20

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Fils d’un célèbre maître de sabre, Matajuro Yagyu fut renié par son père qui estimait que le travail de son fils était trop médiocre pour espérer en faire un maître. Matajuro, qui avait décidé, malgré tout, de devenir un maître de sabre, partit vers le mont Futara pour y rencontrer le fameux maître Banzo. Mais Banzo confirma le jugement du père :

« Tu ne peux pas remplir les conditions.
— Mais si je travaille très dur, combien d’années cela me prendra-t-il pour devenir un maître ?  insista le jeune homme.
— Le reste de ta vie, répondit Banzo.
— Je ne peux pas attendre si longtemps. Je suis prêt à endurer n’importe quoi pour suivre votre enseignement. Si je deviens votre serviteur dévoué, combien de temps cela peut-il prendre ?
— Oh, peut-être dix ans.
— Mais, vous savez, mon père se fait vieux, et il me faudra bientôt prendre soin de lui. Si je travaille plus intensivement, il faut compter combien d’années ?
— Oh, peut-être trente ans.
— Mais, qu’est-ce que ça veut dire ?! D’abord dix, maintenant trente. Croyez-moi, je suis pourtant prêt à supporter n’importe quoi pour maîtriser cet art dans le temps le plus court !
— Bien, dans ce cas, vous aurez à rester soixante-dix ans avec moi. Un homme aussi pressé que vous d’obtenir des résultats n’apprend guère rapidement, expliqua Banzo.
— Très bien, déclara Matajuro, comprenant enfin qu’il était blâmé par son impatience, j’accepte d’être votre serviteur. »

Il fut alors demandé à Matajuro de ne plus parler d’escrime, ni de toucher à un sabre. Il servit le maître, lui prépara ses repas, lui fit son ménage, s’occupa du jardin, tout cela sans un mot au sujet de l’art du sabre. Il n’était même pas autorisé à regarder les autres élèves s’entraîner.

Trois années passèrent, Matajuro travaillait toujours et il pensait souvent à son triste sort, lui qui n’avait pas encore la possibilité d’étudier l’art auquel il avait décidé de consacrer sa vie. Or, un jour, pendant qu’il faisait le ménage, tout en ruminant ses tristes pensées, Banzo se glissa derrière lui en silence et lui donna un terrible coup de bokken. Le jour suivant, alors que Matajuro préparait du riz, le maître l’attaqua encore d’une façon tout à fait inattendue. À compter de ce jour, Matajuro dut se défendre jour et nuit contre les attaques surprises de Banzo.

À chaque instant, il devait être sur ses gardes, pleinement éveillé, pour ne pas tâter du sabre du maître. Il apprit si rapidement que sa concentration, sa rapidité et une sorte de sixième sens lui permirent très tôt d’éviter les attaques de Banzo. Un jour, peut-être moins de dix ans après son arrivée, le maître lui annonça qu’il n’avait plus rien à lui apprendre.


tiré de « Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon » par Pascal Fauliot (Éd. Albin Michel)