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conte #12 « La Voie du chat »

par Shoshin Dojo publié le 10.04.21

Sleeping cat by Kōno Bairei (1844-1895). Digitally enhanced from our own original 1913 edition of Barei Gakan.

Il était une fois, un jeune samouraï qui étudiait dans une très célèbre école d’escrime. L’institution, vieille et vénérable, était reconnue pour avoir formé de nombreux samouraïs de renom au fil des années. Le garçon, Kenichi, était un élève prometteur, humble, patient et appliqué. Tous les jours, il se levait avant l’aube et travaillait dur, espérant qu’un jour lui aussi deviendrait un expert dans l’art du sabre. Sous la pluie battante ou dans la chaleur étouffante, il s’entraînait et s’entraînait, peaufinant ses enchaînements et aiguisant son esprit pour atteindre une pure perfection. Car si Kenichi aimait apprendre les techniques de combat, c’était aussi un élève avide d’art et de littérature. Et par dessus tout, il avait une passion pour le jeu de go. Tous les jours, après le dîner, il se réunissait avec d’autres élèves pour y jouer. Et leurs soirées s’écoulaient tranquillement, rythmées par ces compétitions amicales.

Une nuit, alors que Kenichi réfléchissait à la meilleure stratégie pour placer ses pions blancs sur le plateau, la lumière s’éteignit soudainement. Il se leva : « Le vent a dû souffler la lampe. Attends une minute, je vais la rallumer ». Tâtonnant dans l’obscurité, Kenichi trouva la lanterne. Mais lorsqu’il battit son briquet, il ouvrit de grands yeux. Toute l’huile s’était évanouie. « J’ai dû oublier de la remplir…» Kenichi prit un pot et versa prudemment de l’huile toute fraîche. Puis il alluma la mèche. « Cela devrait faire l’affaire. » Les deux garçons s’en retournèrent à leur partie de go. La lumière s’éteignit encore. La voix de son ami s’éleva dans le noir, hésitante, tremblante : « C-ce n’est pas le v-vent ! Je t’en prie, d-dis moi que ce n’est pas un f-fantôme ! ». Kenichi posa une main rassurante sur son épaule : « Et bien, on va en avoir le cœur net ! ».

Les garçons remplirent et allumèrent à nouveau la lampe et ils se cachèrent dans le grand placard de la chambre. Ils attendirent, retenant leur souffle. Une sombre silhouette apparut soudain dans la lumière vacillante. Silencieux comme une ombre, un rat énorme, plus long que l’avant bras d’un homme, s’approcha de la lanterne. Sans peur aucune, il se hissa sur ses pattes arrières et, évitant la flamme, il commença à laper goulument l’huile. L’ami de Kenichi jurant entre ses dents : « Sale bête ! » et avant que Kenichi ait pu le retenir, il jaillit du placard en brandissant son bokken. Le rat n’eut même pas un sursaut. Il se remit à quatre pattes, ses yeux rouges scintillant à la lueur de la lampe. Puis, comme s’il se trouvait seul dans la pièce, il bailla négligemment.

L’ami de Kenichi fulmina : « Tu te moques de moi ? Prépare toi à mourir ! ». Et il s’élança, l’épée prête à frapper. Plus vif que l’éclair, le rat évita son coup et se volatilisa. Le jeune samouraï n’eut pas le temps de réaliser ce qu’il se passait. Le rat avait déjà bondi. La bête lui déchira méchamment la main. Le pauvre garçon se plia de douleur. Kenichi essaya de s’interposer mais le rat monstrueux siffla vicieusement, découvrant des dents acérées sanguinolentes, les yeux brillant comme des braises. Heureusement, le bruit avait réveillé tout le dortoir. Alors que élèves et professeurs accouraient, le rat fila et disparut de nouveau dans le ténèbres. Kenichi ne dormit pas beaucoup cette nuit là. Il ne cessait de penser : « Ce rat était énorme. Ce doit être une bête vieille et sage pour avoir vécu si longtemps. C’est un monstre si puissant, comment pourrait-on s’en débarrasser… ».

Le jeune guerrier n’attendit pas l’aube. Il s’habilla en toute hâte et gagna vite le temple de la ville. Les moines étaient déjà debout et vaquaient à leurs tâches. Kenichi s’inclina profondément et leur relata les événements de la nuit. « S’il vous plaît, prêtez-moi votre chat. Tout le monde sait que c’est une grande chasseuse. Seule un être comme elle saura comment se mesurer à ce démon. ». Les moines incrédules secouèrent la tête. Mais Kenichi les implora encore et encore, la voix toujours calme et mesurée, et finalement les moines finirent par céder.

Il reprit le chemin de son école, la chatte entre ses bras. C’était un bel animal, calme et alerte. Et alors que le garçon lui racontait tout l’histoire, elle sembla saisir chacun de ses mots. Kenichi déposa avec précaution la chatte dans sa chambre et tous les deux côte à côte, ils attendirent la tombée de la nuit. Quand les ténèbres vinrent, l’énorme rat sortit une nouvelle fois de l’ombre. Audacieux et sûr de sa force, il s’approcha de la lampe et commença à laper l’huile. La chatte ne bougea pas une moustache. Elle émit seulement un bref miaulement. Le rat se figea et se tourna dans sa direction. Un long moment passa. Pas un des animaux ne bougeait. Ils se jugeaient, sans siffler, sans grogner. La chatte et le rat semblaient s’être changés en statues vivantes. Kenichi n’osait même plus respirer et se demandait : « Mais qu’est ce qu’ils font ? ».

Minutes après minutes, les deux adversaires se mesuraient du regard, crocs et griffes étincelants dans la faible lumière. Soudain, le rat bondit telle une noire furie. Mais comme une flèche, la chatte lui asséna un coup précis, l’étendant pour le compte. Un battement de cil plus tard, elle était déjà à la gorge du monstre. En quelques secondes, le rat rendit son dernier souffle. Kenichi n’en croyait pas ses yeux. Il caressant le chatta victorieuse et ronronnante, et murmura : « Celui qui perd patience est celui qui commet le premier une erreur… et perd la bataille. Tu ferais un sacré bretteur…»

Pendant de longues années, Kenichi repensa à ce stupéfiant duel. Il s’entraîna et travailla dur, affinant son propre style de combat. Et un jour enfin, son nom fut connu de tous : il était devenu un grand maître : celui de la Voie du chat.