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Conte #1 :
« La loi de l'équilibre »

par Shoshin Dojo publié le 25.03.20

La folle course que nous impose le quotidien habituel ne nous autorise pas toujours à consacrer autant de temps que nous le souhaiterions à certaines activités. Parmi celles-ci, la lecture tient sans doute une des premières places. Du coup, saisissons le temps que nous offre le confinement. Nous avons choisi de vous proposer de manière régulière des contes et autres récits philosophiques venus de Japon, ou d'ailleurs, et qui parleront aussi d'arts martiaux. L'occasion, s'il en était besoin, de démontrer que ceux-ci ne sont pas que des exercices techniques et physiques. Nous commençons par un classique que certains d'entre vous doivent déjà connaître… Bonne lecture !


estampe d'Hokusai

Ayant l’occasion de séjourner au Japon au début du siècle dernier, un européen avait décidé d’y apprendre le ju-jitsu qui lui paraissait être une méthode de combat redoutable. Il commença donc à suivre les cours d’un Maître renommé. Mais quelle ne fut pas sa surprise quand, au bout de la troisième séance, il n’avait toujours appris aucune technique de combat ! Il s’était seulement exercé à des mouvements très lents, en décontraction. A la fin de la séance, il décida d’aller trouver le Maître.

« Monsieur, depuis que je suis ici, je n’ai rien fait qui ressemble à des exercices de lutte.

— Asseyez-vous, je vous prie, déclara le Maître. »

L’Européen s’installa négligemment sur le tatami et le Maître s’assit en face de lui.

« Quand commencerez-vous à m’enseigner le ju-jitsu ?

Le Maître sourit et demanda :

« Êtes-vous bien assis ?

— Je ne sais pas… Y a-t-il une bonne façon de s’asseoir ? »

Pour toute réponse, le Maître désigna de la main la façon dont il s’était lui-même assis, le dos bien droit, la tête dans le prolongement de la colonne vertébrale.

« Mais écoutez, reprit l’Européen, je ne suis pas venu ici pour apprendre à m’asseoir.

— Je sais, dit patiemment le Maître, je sais, vous voulez apprendre à lutter. Mais comment pouvez-vous lutter si vous ne cherchez pas l’équilibre ?

— Je ne vois vraiment pas le rapport entre le fait de s’asseoir et le combat.

— Si vous ne pouvez rester en équilibre quand vous êtes assis, c’est-à-dire dans l’attitude la plus simple, comment voulez-vous garder l’équilibre dans toutes les circonstances de la vie et surtout, dans un combat ? »

S’approchant de son élève étranger qui restait perplexe, le japonais le poussa légèrement. L’européen tomba à la renverse. Le Maître, toujours assis, lui demanda alors d’essayer de le renverser à son tour. Poussant d’abord timidement d’une main, puis y mettant les deux, l’élève finit par s’arc-bouter vigoureusement contre le Maître, sans succès. Soudain, ce dernier se déplaça légèrement et l’autre bascula en avant, s’étalant de tout son long sur les tatamis.

Esquissant un sourire, le Maître ajouta :

« J’espère que vous commencez à comprendre l’importance de l’équilibre. »


tiré de « Contes et récits des arts martiaux de Chine et du Japon » par Pascal Fauliot (Éd. Albin Michel)