Triplé !
Cette année est un peu exceptionnelle. En effet, ça faisait déjà quelques années que le Shoshin Dojo n'avait pas présenté de candidat à un examen de grade dan. En juin, ce sont trois candidats, trois profs du club, qui se sont présentés à l'examen du troisième dan d'aikido et qui l'ont obtenu ! Un triplé ! 9 dan d'un coup pour le Shoshin Dojo. On est contents et un peu fiers il faut bien l'avouer. Mais décrocher ce troisième dan, pour nos candidats-profs, ça n'a pas été si facile que ça. Et c'est ce parcours que Marie, Romuald et Alban ont voulu vous partager.
Marie
Le troisième Dan, ça faisait un moment que c'était dans mes projets ! Il faut dire que le deuxième dan avait déjà quelques années mais entre temps il y a eu un déménagement, un changement de rythme de travail et une grossesse… Pas étonnant que les années filent ! Toujours est-il que cette saison, j'étais plus que motivée et ça tombait plutôt bien car mes copains aussi et quoi de mieux qu'une prépa à plusieurs ?!
Après… il y a la motivation et il y a ce qu'on en fait. Heureusement que l'on avait prévu ce temps de passages blancs filmés à la Toussaint car ça a été le starter pour moi. J'étais beaucoup trop rapide et n'ayant plus le physique d'avant, je me mettais dans le rouge dès la fin du travail à genoux… La honte ! J'ai donc dû travailler mon physique et apprendre à m'économiser dans ma pratique ce qui n'était déjà pas une mince affaire. Comment montrer de la puissance lorsqu'on vient seulement de récupérer un périnée et des abdos à peine potables et si on est tout essoufflée au bout de 5 minutes de pratique intense ? J'étais dépitée…
Deuxième coup dur, je ne pouvais pas consacrer autant de temps à ma préparation que pour le shodan et le nidan. Alors que je voyais les copains toujours à fond, je devais gérer le travail en libéral et mon Loulou qui me prend, il faut le dire, beaucoup de temps !
Au début, j'en étais frustrée puis je me suis dit que c'était comme ça et qu'il fallait s'adapter et c'est ce que j'ai fait : j'allais courir sur ma pause de midi une fois par semaine en variant avec du fractionné ; je travaillais mes séries de jyu waza avant de donner mon cours du mardi soir à Saint-Aubin, avec Edmond quand il était là ou avec Tximista. Heureusement que tous les deux arrivent largement en avance au dojo. Je regardais les vidéos de nomenclature régulièrement pour faire travailler mes neurones miroirs. Je suis allée deux trois fois au Dojo de Voiteur dont le prof n'est autre que mon père. Il a pu analyser ma pratique et me donner des conseils. J'ai même pu faire deux passages blancs là-bas en fin de cours grâce à la gentillesse de ses élèves.
On arrive ainsi en début d'année : nouveau passage blanc à Besançon beaucoup plus réconfortant. Je tiens le coup physiquement en tant que tori et surtout je travaille aussi un peu en tant que uke ! Soulagée il faut le dire vite et je ne perds pas de vue que la route est encore longue. On voit encore clairement les techniques ou les formes d'attaques avec lesquelles je suis à l'aise… et les autres ! Le passage n'est pas aussi régulier qu'il le faudrait malheureusement alors je me concentre sur les attaques les moins sympas de mon point de vue dans mes cours suivants. Désolée pour les élèves de Saint-Aubin qui comprennent à présent pourquoi on a vu autant de kata dori et de muna dori !
Et puis il y a les conseils d'Hélène et de mon père qui prennent enfin écho en moi. Je dois réduire mes déplacements, me recentrer et présenter davantage d'ancrage en fin de techniques. Plutôt que de faire une prestation dynamique « qui en jette » comme je les aime, je tente un aikido plus humble en somme. C'est avec cela en tête que je me prépare dans mes dernières semaines avant le jour J qui arrive très vite il faut le dire.
Déjà le keikogi est dans le coffre et on part en voiture avec Tony et mon père. Le trajet est terriblement long. On est parti tôt pour voir le passage des copains mais sans vouloir partir dans la précipitation non plus pour que je sois sereine. Je transpire, j'ai la nausée et je n'ai encore rien réussi à avaler… Je n'ai pas passer d'examen quel qu'il soit depuis plusieurs années et j'avais oublié ce que c'est que cet état de stress qui le précède. Malheureusement je ne vois que le randori de Romu car il est passé le premier. Je vais rapidement aux nouvelles vers Élise et Edmond qui me disent qu'il n'a pas fait son meilleur passage de l'année. Je suis dégoûtée s'il y en a un qui doit l'avoir c'est lui, ne serait-ce que pour protéger son dos à l'avenir ! Le fait d'être assise à regarder m'aide à réduire doucement le stress. Je suis dans l'ambiance, j'observe. J’attends le passage d'Alban qui n'arrive pas et je commence à angoisser car je dois me changer et m'échauffer. Enfin il passe et est égal à lui même : je trouve son passage très régulier et propre et je me dis c'est bon il a fait le taf, à toi de jouer maintenant.
Je vais m'échauffer dans une salle en bas avec Michaël qui est le seul de mon groupe avec lequel j'ai déjà pratiqué avant. On fait seulement quelques techniques car il fait lourd et le stress nous fatigue déjà. Très vite on remonte puis je reçois les derniers encouragements de Tony et les derniers conseils de mon papa : regard, respiration et pas trop vite ! On est appelé à monter sur le tatamis. Je peux seulement féliciter Alban et Romu pour qui l'attente commence. Il y a plusieurs élèves du Shoshin qui sont là, les irréductibles, qui étaient déjà présents pour les passages blancs. Ça fait du bien. Mais dès que j'apprends que je passe en deuxième j'occulte tout le reste. J'observe à peine le passage du premier candidat qui semble pas mal du reste. J'essaie d'y aller pour le randori pour me dégourdir car j'ai les jambes en coton mais je me fais devancer. Tant pis. Je suis appelée, je vais chercher mes armes en me forçant à marcher doucement. Je les dépose et je me place pour le salut. J'ai choisi Mickaël comme premier uke. Je salue. J'expire. C'est parti !
Je gère mon passage comme un marathon, fluide mais pas trop rapide, rythmé en restant humble et surtout en essayant d'être le plus homogène possible ! Bien sûr, mes vieilles habitudes reviennent vite, elles ont la peau dure comme on dit ! Mon regard se perd entre mon partenaire et le plafond, je fais pas mal d'apnées pendant les techniques en respirant uniquement entre celles-ci. Je tombe sur le tachi dori que je redoute malgré l'entraînement et le jō tai jō qui n'est pas non plus mon point fort. C'est dommage mais tant pis et c'est déjà le randori. Je donne tout. Puis le salut déjà et enfin en même temps ! Je me force à avoir un pas régulier pour aller déposer mes armes et revenir me mettre en seiza. Dans ma tête c'est « Ouf, tu n'as pas fait de malaise ! Tu as tenu ! ».
Le candidat suivant est appelé et me choisi comme uke : incrédulité, je retourne chercher mes armes et c'est reparti ! Je ne pense pas avoir réalisé mon meilleur ukemi, j'en suis déçue et je me sens coupable pour mon partenaire. Je finis en hyperventilation heureusement que Mickaël, qui est le candidat suivant, s'est ravisé et m'a proposé d'être son uke en tachi waza finalement. Je récupère puis me précipite au changement de uke pour ne pas l'abandonner et l'attaque du mieux que je peux. J'en veux intérieurement au jury de ne pas changer d'uke pour le travail en ushiro waza puis je me dis que je dois tout donner, c'est comme ça, il faut montrer ce qu'on a dans le bide ! Les passages se terminent, je sers encore une fois d'uke en tachi waza pour le dernier candidat qui a une forme de pratique assez perturbante pour moi. Une ou deux fois je crains de me blesser mais ça passe, son aikido est très efficace !
Je rejoins mes camarades qui sont au bout de leur vie : ils sont prêts depuis 8h30 et il est plus de 13h30 lorsque les jurys annoncent les reçus : Alban l'a : pas surprise ; Romu l'a aussi : trop contente ; je l'ai : incroyable !
Romuald
« La victoire appartient au plus opiniâtre ». Une maxime attribuée à Roland Garros, qui n’était pas tennisman mais un illustre aviateur combattant lors de la 1ère Guerre mondiale. Cette phrase reste mythique également parce qu’elle est inscrite en larges caractères sur le court central, de Roland Garros justement. C’est aussi devenu la phrase représentative d’un combattant d’un autre genre, l’espagnol Rafael Nadal, qui a inscrit sur ce court la plus grande partie de sa légende, sportive, celle-là.
Je me suis souvent répété cette phrase ces dernières années, au sujet de mon passage de l’examen Sandan. En effet, mon premier essai date de juin 2017, c’est vous dire si je ne suis plus jeune depuis un moment déjà. Et si je n’étais pas trop abattu d’avoir échoué sur ce premier essai, c’est d’une part parce que j’avais souvent entendu parler de la « haute marche à gravir » entre le 2ème et le 3ème dan, mais aussi parce qu’au fond de moi je ne me pensais pas totalement prêt. Le second échec au même examen, deux ans plus tard, fut plus douloureux car si le travail de fond avait été également conséquent , les doutes sur ma pratique et les remises en question des formes techniques avaient été nombreuses.
Autant dire que je me présentais cette année avec l’ambition de ne pas décevoir (mon entourage, mes partenaires de tatamis, moi-même), mais également avec l’expérience de celui qui sait que malgré le travail, l’objectif peut néanmoins lui échapper à nouveau… Cette fois je ne me présentais pas seul, mais avec Marie et Alban, ce qui « facilite » la préparation mais ajoute aussi de la pression, bien entendu. Néanmoins, pendant toute l’année, je n’ai pas pu m’empêcher d’imaginer la situation d’un examen se déroulant correctement, mais avec une décision finalement défavorable du jury, pour toutes les raisons possibles et imaginables… Cette ambigüité de représentation mentale m’a accompagné pendant toute la préparation, jusqu’au matin de l’examen. C’est seulement pendant les quelques heures de l’examen que je me suis vraiment concentré totalement sur le moment à vivre pleinement. Concernant cette préparation d'une année , je la décomposerais en 3 points.
Préparation en club
Malgré ma faible disponibilité en semaine, nous avons réussi à intégrer des séances de préparation d’examen blanc, filmées et décortiquées, en complément des cours et séances « libres » de travail du jeudi soir. Tous ces moments ont été essentiels, même si parfois il a été difficile de prioriser les axes de travail. Chose importante : dans tous ces moments, les partenaires de travail, quel que soit leurs grades, ont toujours été volontaires.
Préparation « extérieure »
J’ai suivi plusieurs stages fédéraux ou privés entre Fareins, Strasbourg, Mulhouse, Caen et Besançon. Mais ce ne sont pas des rendez-vous spécifiquement dédiés à la préparation des examens. Par contre, les cours suivis au dojo d’Hélène Doué à Paris (Aïkido en Seine) ont été extrêmement profitables. Je m'y suis rendu en moyenne deux fois par mois et Hélène a su, à chacune de mes visites, m'apporter des éléments concrets et immédiatement parlants. Il m'a permis non seulement d’améliorer ma pratique générale, de mieux comprendre les attentes du jury, mais aussi d’enrichir mon programme de buki Waza, jusqu’aux dernières semaines avant l’examen.
Préparation personnelle
Définition des programmes de kokyu nage et des jyu waza sur chaque saisie ou frappe, répétition en « air aikido » quasi-quotidienne au réveil, revue des vidéos d’examen blanc, visualisation mentale… Tout ces temps hors des tatamis sont importants et à ne pas négliger. En tout cas, ils ont participer à ma progression.
Des embûches sur la route
Il se trouve que les semaines approchant, mon corps m’a rappelé sa fatigue générale… À cause d’une douleur derrière le genou qui s'es avérée être une déchirure musculaire, j’avais déjà dû stopper la course à pied fin avril… Kiné, massages et cachets feront donc partie de ma préparation jusqu’à l’examen. Et deux semaines avant le jour J, un méchant lumbago est venu me rappeler la fragilité de mes lombaires.
L'examen
Malgré tout, j’arrive à l’examen en état de le passer. J'avais tout de même un vrai doute sur ma capacité de tenir en suwari waza et en seiza. Ça faisait déjà 3 semaines que j'avais abandonné la position seiza. Après consultation, je décide de présenter une attestation médicale au jury de façon à éviter autant que possible de passer en tant que uke en suwari waza. Bien sûr, je m’empresse d’ajouter que je suis prêt à passer l’intégralité de l’examen sans demander de mansuétude. Mais surprise : le jury m’indique qu’il ne tiendra pas compte de mon état médical et que je devrai m’adapter, étant jugé en tant que tori et uke, au même titre que les autres candidats. À partir de là, je me dis : « OK, je vais donc serrer les dents et surtout ne rien montrer d’une potentielle faiblesse ». Mon idée est donc à ce moment basée sur trois objectifs.
1. Un engagement maximal
Y compris en tant que uke. Pour cela je me suis porté volontaire à chaque fois que possible, plusieurs fois en randori, mais surtout en tenant à passer uke sur toutes les parties de l’exame. Lors du passage de Paola, la dernière candidate, j’étais déjà bien fatigué mais j’ai quasiment bondi pour être son partenaire en tachi waza. Le jury ne m’avait pas encore vu dans cet exercice. Accessoirement aussi, parce qu’elle me l’avait demandé à la pause. Paola étant très dynamique, je me suis fait violence pour maintenir le rythme dans les attaques et les chutes à répétition. Alors que je m’attendais à être remplacé pour le ushiro waza, le jury a décidé de ne pas me remplacer. Je me suis retrouvé bien cuit physiquement, et même si le cardio tenait encore et que je continuais donc à attaquer avec un réel engagement, Paola m’entraînait énergiquement dans les déséquilibres. J’ai donc beaucoup virevolté et chuté mais au moins je n’avais plus rien à me reprocher en terme d’engagement.
2. Garder un shisei impeccable
Par exemple, je pense être resté en seiza sur la quasi-intégralité de la matinée. Je voyais du coin de l’œil mes voisins en tailleur, et un des candidats très relâché, le dos rond, avec une jambe en avant. Il est clair que la position d’attente en seiza fait partie de l’examen. J’ai toujours entendu mon premier professeur insister sur le fait que dès qu’on monte sur le tatami, « on est dans un dojo et pas à la plage ! ».
Lors de mes passages, je voulais montrer une disponibilité et une concentration permanentes. En disponibilité, je pense être aguerri. Pour la concentration, j’ai même choisi une petite astuce : cligner très lentement des yeux lors de la mise en garde avant chaque nouvelle technique, simplement pour ajouter (ou montrer ?) une sorte de concentration. C’est peut-être ridicule (selon le point de vue), inutile aux yeux du jury (qui sait ?) mais en tout cas, ça m’a permis de me recentrer.
3. Respecter le reishiki
Pour cela, y compris lors de ma marche vers mes armes, du salut aux jury ou aux partenaires, de la prise et du dépôt des armes, j’ai pris garde à ne jamais me précipiter, à gérer les armes de la bonne façon, à garder la tête haute et à saluer en conscience.
Le passage
Bien entendu, même si je ne l’ai pas évoqué, c’est bien le passage en tant que tori qui est le moment le plus important à gérer et probablement le plus stressant. Comme trop souvent lors d'un examen, je n’ai pas passé toutes les techniques et les formes que je souhaitais présenter au jury. Notamment les entrées variées sur morote dori qui me tenaient pourtant à cœur. Comme cela m’était déjà arrivé également, la découverte d’un (ou 2) uke qui bougent peu, chutent de façon un peu rigide et attaquent en mode « minimaliste » par rapport à notre pratique habituelle, me pose problème à deux titres. Techniquement d’abord, car j'ai mis du temps à m’adapter et à essayer de ralentir et à relâcher mes mouvements. Mentalement ensuite car, bien entendu, j’ai ressenti la difficulté et cela a eu tendance à me raidir au niveau des bras, au risque de devenir contre-productif. Malgré tout, après un koshi nage sur lequel mon partenaire refuse la chute, le second passe beaucoup mieux et je lui en passe même un dernier en forme ude kime nage. Il est surpris mais je parviens à gérer ses bras de façon à ce qu’il ne risque rien et j’ai l’impression qu’il s’est détendu par la suite.
Finalement, le travail en shikko, malgré une petite gêne gérable au genou, se passe plutôt correctement… Si ce n’est une erreur grossière sur ryote dori shiho nage en hanmi handachi waza. Dès la fin de mon passage, je m'en veux terriblement quand je fais défiler l’examen dans la tête. Le passage aux armes me semble également correct sur le moment. Je suis ravi de passer au ken tai ken et de présenter le kote giri qu'Hélène m'a fait ajouté à ma liste lors de mon dernier passage à Paris ! Finalement une petite surprise en randori avec une demande d’attaque en shomen uchi… Des années que je n’ai pas travaillé ça mais c’était un exercice relativement régulier, parfois même sur attaque libre, lorsque je pratiquais à l’EPAM avec Julien Henriet. Il paraît que le corps se souvient….
Au final, après une matinée entière de suspens, surtout quand comme moi on passe le premier du groupe, l’instant bref où j’entends mon nom énoncé parmi les reçus est davantage vécu comme un moment de satisfaction intérieure profonde, comme une joie pure…probablement du fait des nombreuses années passées et des deux tentatives précédentes. Par contre, réaliser que les trois candidats du Shoshin sont reçus en même temps me procure une grande joie extériorisée, certainement du fait de notre préparation commune, mais aussi beaucoup parce que je sais combien la réussite à cet examen du 3ème dan est loin d’être une formalité. Par contre, que ce soit clair, même si cela ressemble à une victoire, cela n’a rien d’une finalité, le travail et le plaisir continuent ! La route est encore longue, mais le chemin vaut la peine.
Alban
Ce troisième dan, ça fait un moment que j'y pense. Non pas que ce soit une obsession et que j'y pense en me rasant le matin, mais depuis l'obtention du nidan, je sens bien que j'ai progressé. Ma pratique a évolué mais sans que je sache si c'est dans la « bonne » direction. Et puis il y eu la période Covid, deux interventions chirurgicales — une pour chaque genou —, un syndrome rotulien, pas mal de séances de kiné pour remettre tout ça d'aplomb, une pubalgie… Bref ! Ces dernières années ont été mouvementées et ne m'ont pas vraiment laissé l'opportunité d'envisager une préparation correcte. Sans compter que l'animation des cours du Shoshin prend toujours du temps sur ma pratique personnelle. Mais bon, en septembre 2023, les planètes s'alignent. Je reprends les déplacements à genoux et je ne ressens pas de douleur, le Dojo obtient un nouveau créneau consacré spécifiquement à la pratique personnelle et donc idéal pour les préparations aux grades. Romuald rempile et Marie se sent prête. C'est parfait ! On cale une séance de préparation aux vacances de la Toussaint pour faire un premier point. Comme à chaque année de préparation, on va devoir compter sur nos partenaires de tatamis pour ces séances spécifiques qui seront filmées. La vidéo nous permettra d'analyser ce qui va et ce sur quoi il nous faut travailler.
Premier bilan
Après la première séance de la Toussaint, je me souviens d'un sentiment mitigé. Déjà, je suis content. Même si ça fait plusieurs années que je n'ai pas travaillé le suwari waza et le hanmi handachi waza, je ne suis pas trop rouillé. Les sensations reviennent assez vite. La nomenclature, ça va aussi. Il y a quelques petits trucs à affiner mais rien d'alarmant. Par contre, pour ce qui est de l'exercice de l'interrogation en lui-même… c'est mauvais. Le rythme n'est pas bon, je vais beaucoup trop vite, du coup je fatigue assez rapidement et l'ensemble est assez linéaire… Autre point à travailler et je le sens tout de suite : les armes. Je ne suis pas du tout au point, surtout au jō tai jō et au tachi dori… Voilà, le premier bilan est dressé. Je ne suis pas vraiment satisfait, il y a clairement du boulot mais avec Élise, Marie et Romuald, on a identifié des axes d'amélioration. Y'a plus qu'à !
Un travail régulier
Assez rapidement, les séances du jeudi dédiées au travail personnel sont mises à profit. Avec Romu on commence par essayer de caler notre travail aux armes. Mon « programme » évoluera tout au long de l'année mais les bases sont assez vite fixées pour moi de ce côté-là. Ensuite, je m'attaque à mon travail sur les jyu waza. L'idée c'est d'avoir une série de techniques prêtes pour chaque forme d'attaque. Ça fait un certain nombre d'enchaînements que je mets un peu de temps à formaliser mais tout ça finit par se structurer. Je décide de ne pas apprendre ces listes par cœur. Elles sont fixées sur le papier, je le répèterai régulièrement tout au long de l'année mais je ne m'interdis pas d'improviser.
Pour le reste, comme un musicien, je répète mes gammes. Je cible prioritairement les formes d'attaques et les techniques avec lesquelles je me sens le moins à l'aise. C'est un travail de routine qui commence. Pas toujours passionnant, parfois frustrant mais je sais que le jour de l'examen, je ne livrerai pas ma meilleure prestation. Trop de paramètres inconnus à gérer : le stress, les partenaires qu'on ne connaît pas, le rythme d'interrogation du jury… Alors il faut monter le niveau global de ma pratique, que je sois à l'aise sur à peu près tout.
Un regard déterminant
Collectivement, Marie, Romu et moi, nous avançons. Nous le sentons. Pourtant, nous avons besoin d'un regard extérieur et expérimenté. Nous sollicitons naturellement Hélène Doué. Nous l'avons invitée plusieurs fois à Besançon, nous nous sommes déplacés régulièrement pour aller la voir en stages, sa pratique et sa manière de transmettre l'aikido nous parlent et Romuald passe souvent par son dojo à Paris. Si ce n'est l'éloignement géographique, nous nous sentons proches d'elle.
Hélène, enthousiaste comme à son habitude, accepte de nous aider. Elle est d'accord pour nous faire des retours sur nos vidéos de préparation. Et bim ! Elle met tout de suite le doigt pile où il faut… et là où ça fait mal. Me concernant, il faut que j'engage davantage le déséquilibre, que mes appuis soient plus ancrés en fin de projection, que je fasse attention à avoir plus d'amplitude en hanmi handachi waza, que je veille à garder mon unité de corps en ushiro waza… Il y a donc du travail mais au moins, le cap est clair. Je sais que les points soulevés par Hélène seront déterminants pour la suite. Tout ne pourra pas être corrigé d'ici la date de l'examen mais je poursuis ma préparation en oscillant entre les moments de confiance et de doute.
Jour J
On y est ! Nous sommes à Lyon, à la Maison du judo. Il est 8h30 et nous sommes en tenue avec Romuald. Marie est convoquée pour 10h30. Dommage. Il fait une chaleur étouffante et nous apprenons que notre jury est composé de Mare Seye Shihan et Bruno Rivière, tous deux 6ème dan et respectivement DFR pour les Ligues de Nouvelle-Calédonie et Paca. Le second jury est composé d'Hélène et de Dominique Rascle. Dans notre groupe, à part Julie du Dojo de Cranves-Sales et Romuald, je connais aucun candidat. On s'échauffe et j'en profite pour faire quelques mouvements avec les candidats que je ne connais pas. Je décide de ne pas trop me poser de questions. De toute manière, à cet instant, je ne sais pas si c'est nous ou si c'est le jury qui désignera nos partenaires. Si j'ai le choix, de toute manière, je ne prendrai pas Romuald pour ne pas solliciter ses genoux. J'aviserai.
On nous présente les modalités de l'examen, nous rejoignons nos jurys respectifs qui nous apportent quelques précisions et c'est parti. Romuald passe en premier. Il me choisit. Je serai donc son partenaire pour le suwari waza, le hanmi handachi waza, le buki waza et le randori final. Premier boulette. Je dépose mal mes armes et le jury me le fait remarquer. C'est idiot. Bien sûr que je connais la façon de poser ses armes. Allez on oublie. De toute manière c'est fait et il vaut mieux se concentrer sur la suite.
La suite, c'est servir de uke à Romuald. Je l'attaque généreusement parce que je sais qu'il est en capacité de gérer. Je sais aussi comment il passe ses techniques donc je n'ai pas à me poser de questions. Ça se passe bien mais je suis content d'aller me mettre en seiza après le hanmi handachi waza Il fait chaud, je transpire déjà pas mal et le cœur est quand même bien monté dans les tours. Je reviens au calme en regardant le passage de Romu. Aïe ! Ses ukes ne bougent pas beaucoup. J'ai l'impression qu'ils sont un peu raides et qu'ils refusent certaines techniques, notamment les koshi nage. Bon. Je me concentre sur ce que j'ai à faire. Depuis les avertissements de Marie, je me méfie de mes neurones miroirs. Retour en tant que uke pour le travail des armes. Ça va vite. Le randori. Mauvaise surprise : après mae ryokata dori, le jury annonce shomen uchi ! Ça on n'a pas bossé… Romuald s'en sort plutôt bien je crois. Voilà, il a terminé son passage.
Deuxième candidat. C'est une candidate. Julie en l'occurrence qui, comme Romu, me choisit comme uke. Ça me va. On a déjà pratiqué quelques fois ensemble, je sais que ça va le faire. Au final, je m'en veux d'avoir mal compris l'une de ces techniques en jō dori mais elle fait une belle prestation. Si elle ne l'a pas, personne ne l'a !
Troisième et quatrième candidats. Je suis encore choisi comme uke par le troisième candidat ; le quatrième choisit quelqu'un d'autre. Je décide de ne pas me proposer comme uke pour son travail en tachi waza et en ushiro waza. Je passe juste après et je n'ai pas envie de commencer mon passage essoufflé. Je me lève malgré tout pour le randori. Ça va me permettre de me remettre en route. Ça fait près de 20 minutes que je suis en seiza.
Pause. Il fait chaud. On s'hydrate tous. Je ne bois cependant pas trop, le prochain c'est moi. On retourne se placer en seiza.
Le jury m'appelle : c'est parti. Je choisis mon voisin de gauche. Je ne le connais pas. Il n'a pas encore été trop sollicité en tant que uke et comme il passe juste après moi, je me dis que le travail à genoux et aux armes lui permettra de s'échauffer. On salue le jury, on se salue et je commence le suwari waza. Kata dori. Pas ce que je préfère mais ça va. Mon partenaire est un peu raide au niveau de l'épaule alors je fais attention à ne pas le blesser. Techniques classiques, pas de grandes surprises, j'assure et je gère mon rythme. On passe au hanmi handachi waza. Je suis moins à l'aise, surtout en ushiro ryo kata dori. Je passe mon sankyo mais je ne fais pas bouger suffisamment mon partenaire. Kokyu nage… Peut-être une des techniques que j'aime le moins dans tout le répertoire de l'aikido. Tant pis, je fais de mon mieux.
Tachi dori. Changement de uke, Julie se lève. Merci Julie ! Je déroule les techniques au rythme des annonces du jury. Pas toujours facile de gérer la différence de taille avec Julie, surtout sur le travail en ushiro waza. Je sens qu'elle a du mal à attraper le revers de mon keikogi sur katate dori kubi shime. Mais je suis tellement absorbé par ce que fais que je ne pense pas à descendre un peu plus sur mes appuis pour lui faciliter la tâche. Ushiro eri dori shiho nage… Là il va vraiment falloir que je plie les genoux ! Globalement, j'ai le sentiment que c'est pas mal. Julie bouge très bien ce qui me facilite la tâche, j'arrive à passer quelques koshi nage, le rythme me semble plutôt bon…
Retour du premier partenaire pour les armes. Tachi dori : le travail d'armes que j'aime le moins. Bon ben va falloir faire avec. Ken tai ken. Ah ! ça ça me va mieux ! Je prends mon bokken, je salue le kamiza et je me mets en garde. Quatre techniques et c'est déjà fini. Un peu frustrant. Randori. J'essaie de faire attention de passer rapidement d'un partenaire à l'autre sur mae ryo kata dori. Shomen uchi. Tout le monde y a eu droit donc il n'y a pas de raison que j'y échappe. Je fais comme je peux mais honnêtement c'est pas terrible. Je me vois même reculer sur une ou deux attaques. Les distances sont très courtes et j'ai du mal à gérer les attaques qui se succèdent trop rapidement pour moi.
« Yame ! ». J'en ai terminé. Je salue les trois uke présents sur les tatamis. Je me place en seiza devant le jury. Les deux saluts finaux, je récupère mes armes et je rejoins ma place parmi les candidats. « Je t'attends pour la suite ». Voilà ce que me lance le partenaire que je viens de quitter à l'instant et qui se lève à son tour. Message compris : « Tu m'as choisi juste avant, alors tu m'en dois une ». Pas question de me défiler. De toute manière je n'ai pas encore travaillé en tant que uke en tachi waza et il faut que le jury me voit dans cet exercice. Je profite des quelques minutes que j'ai devant moi pour récupérer. Le jury appelle un nouvel uke et je me lève. Comme à chaque fois, je décide d'attaque assez franchement tout en faisant attention à ne pas me « cramer ». Je prends le temps de me replacer entre chaque technique pour gérer mon effort et montrer au jury que je fais attention aux angles d'attaque. On commence le travail de frappes, bientôt la fin. Le ushiro waza commence et le jury ne demande pas de changement de partenaire. Mince, je suis presque dans le rouge et je dois rester. Tant pis, je donne le tout pour le tout. Je vais me rassoir. J'ai chaud, j'ai soif, je suis essoufflée, j'ai les yeux qui me brûlent à cause de la sueur qui coule de mon front… Je suis rincé. Paola, la dernière candidate se tourne vers moi et me glisse un : « Ça ira pour après ? »… Euuuuuuh ouais… Je ne dois pas être trop convaincant mais j'ai compris qu'elle aimerait que je sois son uke juste après. Allez on retourne au charbon. Au moins, on ne pourra pas me reprocher de ne pas donner de ma personne. Et si les autres candidats me choisissent comme partenaire, c'est que mon ukemi ne doit pas être si tant mauvais. Le travail avec Paola se déroule bien. Au départ, je suis un peu surpris parce que ses formes mais j'aime bien prendre l'ukemi pour elle. J'ai l'impression qu'on se trouve assez vite. Paola était la dernière candidate : fin de notre session.
Attente et délivrance
Il y a donc une deuxième session synonyme d'une longue attente pour tous les candidats de la première session qui doivent attendre pour l'annonce des résultats. Bon, première chose : il faut que je boive ! Élise et Edmond me rassurent sur mon passage. Les autres membres du Shoshin me félicitent. Je croise Marie qui me rassure aussi. Des aikidokas présents dans le public et que je connais pas forcément me font comprendre par un signe de tête, un sourire ou un mot glissé qu'ils ont apprécié mon passage. Ça me fait plaisir mais je garde la tête froide. C'est au jury qu'appartient la décision finale. À part pour Marie, je regarde les passages de la deuxième session sans réussir à me focaliser complètement dessus. Je refais le match dans ma tête pendant plus de deux heures et je ne pense plus qu'à ce que j'ai mal fait, à ce que j'ai raté ou à ce que j'aurais dû faire… Pas les heures les plus sympas du week-end.
Ça y est ! La deuxième session a pris fin. Le jury s'isole. On félicite Marie qui a fait du bon travail. Le jury revient et les 28 candidats s'alignent en seiza. Les résultats vont être annoncés dans l'ordre alphabétique. Je vais être vite fixé, je suis le premier de la liste. Mon nom est cité, je salue. C'est bon pour moi mais je reste concentré, je veux entendre les noms de Marie et Romuald pour être complètement détendu. C'est le cas. Relâchement de toutes les tensions accumulées. On salue tous, on se lève et je peine à réaliser. 11 candidats reçus et on est les trois du Shoshin parmi eux. C'est un peu ouf quand même ! … une idée un peu surprenante me vient alors en tête : je vais enfin pouvoir arrêter mes visites quasi quotidiennes de la chaîne YouTube de François Pichereau ! Comme quoi, cette histoire de troisième dan tournait un peu à l'obsession.
Remerciements
Nos remerciements vont tout d'abord aux professeurs qui ont jalonné nos modestes parcours d'aikidokas. Nous les citerons ici sans distinction : Julien Henriet, Jacky Roche, Robert et Anne-Marie Rouchouse, Michel Erb Shihan, Gilbert Maillot, Rémi Soufflet, Hervé Guénard, Christian Mouza, Joël Dion et Hélène Doué.
Un merci tout particulier à toi, Hélène. Ton accompagnement a largement contribué à notre réussite et les kilomètres qui séparent Besançon de Paris ont été largement compensés par ta disponibilité, ta bienveillance et la pertinence de tes remarques. Nous savons ce que nous te devons !
Nous nous devons aussi de citer Christian Tissier Shihan. Nous avons découverts la pratique de Christian Tissier dans les tous premiers mois de nos vies d'aikidokas. Pour Romuald, c'était en 1995, trois semaines seulement après être monté pour la première fois sur les tatamis. Pour nous trois, la rencontre avec cet aikido a été une sorte de révélation qui est renouvelée à chaque stage auquel nous avons l'occasion de participer.
Un grand merci bien sûr aux autres profs d’aikido du Shoshin, Élise et Edmond, qui ont donné le meilleur pour nous aider tous les trois. Il y ont mis le temps, l’énergie, la réflexion et tout ça en mouillant le keikogi. C'est vous les prochains. À notre tour de vous aider.
Merci aux pratiquants du Shoshin Dojo qui ont été nos uke privilégiés et que nous avons retourner dans tous les sens avec une constance frisant parfois la monomanie. Ils se sont rendus disponibles pour nos séances de préparation et n'ont jamais rechigné à prendre l'ukemi pour nous. Nous remercions donc tout particulièrement Mélanie, Ésaïe, Tommy & Vitamine et Tximista. Une pensée aussi aux membres du dojo de Voiteur qui ont contribué à la préparation de Marie.
Nous remercions enfin l'ensemble des élèves du Shoshin Dojo, de plus petit au plus âgé — nous tairons le nom de ce dernier —. Tous les élèves nous poussent à aller plus loin et à progresser dans notre aikido. Chacun d'entre vous, à sa place et sa manière, a participé à faire évoluer notre pratique et à construire le chemin qui nous mené au sandan.
Merci !